Carmen-G. Sanchez : On fait souvent référence justement à marcher, à se mettre en action… N’y a pas un moment où justement cette frénésie, de toujours être en mode d’innovation, amène un peu à revoir notre semaine, à avoir un peu plus de discipline pour avoir des temps d’arrêt avec votre équipe?
Marc-Henri Monier : Alors les temps d’arrêt en fait, pour nous, ça se passe avec des rétrospectives. Dans l’agilité, il y a des processus. Puis on demande à un moment donné à nos gens là de s’arrêter. Donc après un sprint, souvent on dit ça, de s’arrêter, puis de faire un recul sur ce qui s’est passé. On dresse aussi des leçons apprises, non pas à la fin du projet comme on le faisait avant, mais dans le projet pour être plus réactif. Donc c’est encore un changement d’habitude, mais ça prend des temps d’arrêt. Ça prend ce qu’on appelle – quand on change tout le temps – des « points fixes » pour se mesurer et se dire OK, j’en suis rendu où et je m’en vais où. Donc ça prend des points fixes quand même dans le développement de produits et du temps de qualité où on s’arrête, on réfléchit, on se pose, pour mieux repartir. Donc oui, c’est ça, je pense que c’est aussi un facteur de succès, c’est de savoir gérer le changement tout le temps. Ça prend aussi de partir de son entreprise, d’aller voir des personnes comme IDP — dans les rencontres de l’IDP avec plusieurs entreprises — ça permet ce temps d’arrêt, de se repositionner, de refaire le point. Donc là, c’est essentiel, parce que si on change tout le temps, on ne connaît plus nos priorités et ça devient chaotique je dirais. Donc les temps d’arrêt sont très importants dans cette frénésie de changement.
Carmen-G. Sanchez : Tous ces temps d’arrêt Benoît, comment est-ce que vous arrivez à les insérer à l’intérieur d’un processus d’écoconception? Est-ce que c’est différent de développer un nouveau produit? C’est un temps d’arrêt versus un temps d’écoconception? Est-ce qu’il y en a plus parce qu’il y en a moins? Est-ce qu’il y en a plus?
Benoit Poulin : En fait, non. L’écoconception à la base même, c’est de l’optimisation de la conception. Ça s’intègre dans le processus d’innovation, ce n’est pas quelque chose à part, en supplément, en surplus. C’est ce qui fait peur d’ailleurs à beaucoup d’entreprises, ils se disent : « Ah, il faut que j’ajoute une couche de plus. Ça va être compliqué, je n’ai pas les moyens… » . Mais en fait, non. À la base, l’écoconception, c’est de l’optimisation de la conception comme on peut faire l’optimisation de la conception pour la fabrication et l’assemblage. L’écoconception, c’est d’optimiser d’abord et avant tout son produit pour mieux répondre à un enjeu environnemental. Puis, bien souvent quand on travaille sur cet aspect, on se retrouve à trouver des opportunités d’innovation, peut-être au niveau de ta chaîne d’approvisionnement, de ton emballage, etc. Marc-André en parlait tantôt, il n’y a pas plus de temps d’arrêt parce qu’on fait de l’écoconception, que dans un développement de produit ordinaire. Ça ne prend pas plus de temps, puis on ne perd pas plus d’argent. L’IDP a fait une étude en 2014, c’est rentable de faire de l’écoconception. C’est une mauvaise conception aussi que les gens ont de penser que ça va coûter plus cher. Non, peut-être que tu vas créer de la valeur de plus, peut-être que le produit va coûter plus cher, mais tu crées de la valeur pour le client et le client est probablement prêt à payer sa différence de prix. Donc, tu crées de la valeur, tu ne perds pas de rentabilité ou d’énergie à faire de l’écoconception. Tu vas pousser ton produit plus loin et probablement même te distinguer de la compétition en faisant cette action-là.
Marc-Henri Monier : Je te rejoins tout à fait Benoit, parce que les temps d’arrêt sont plus pour se permettre de se questionner : « Qu’est-ce qu’on fait? Est-ce qu’on est toujours centré? » À la fin, on ne se rend plus compte en fait, mais on peut aller assez vite dans ce qu’on fabrique parce qu’on a besoin de lancer sur le marché, mais ces temps d’arrêt permettent de nous repositionner : « OK. Est-ce que ce que l’objectif qu’on s’était fixé va être atteint? ». Après, ils peuvent aussi changer en cours de route, et c’est ça aussi la beauté.
Benoit Poulin : L’écoconception s’intègre maintenant dans la façon de développer un produit. Ça ne devient pas comme une contrainte, plutôt comme un autre levier d’innovation. Ça s’intègre à même le processus, la façon de penser des entreprises qui vont avoir une stratégie environnementale bien établie, qui vont s’en servir même pour sélectionner les projets, de dire, ce projet-là n’a pas une portée durable, assez importante. On va éliminer le projet parce qu’il ne fait pas partie des valeurs fondamentales de l’organisation, donc ce n’est pas vraiment pas comme un ajout de plus. Il ne faut pas y voir comme ça, du moins. C’est vraiment comme une opportunité de faire encore mieux. Finalement, en bout de piste, mieux pour leur organisation, mais en plus mieux pour la planète.
Marc-Henri Monier : Oui, et le client. Par exemple, quand on fait, quand on développe un produit, il y a tout le cycle du produit jusqu’à la fin de sa mort qui vous empêche de concevoir une pièce plastique. Par exemple, quand elle est usée, en fait on peut la casser manuellement parce qu’on a mis des points de faiblesse bien dédiés et qui nous permettent en fait de recycler la pièce en un temps record plutôt que de fabriquer tout un moule. Et puis mon dieu, il faut le scier, il faut…. C’était une petite chose, mais…
Benoit Poulin : Oui, c’est la pensée de cycle de vie. Tu sais, on est aujourd’hui du berceau jusqu’au berceau. On parlait à l’époque du berceau jusqu’au tombeau, mais là, on essaie dans un esprit de circularité, l’économie circulaire. De même, à la fin de vie de notre produit, de notre composante, on est capable de la réintégrer dans une autre boucle pour faire vivre ou développer un autre produit, une autre valeur. Cette notion là de pensée cycle de vie est au cœur de la démarche d’écoconception, c’est un peu le défi qui guette les entreprises. Souvent, on a l’impression de faire un bon geste pour l’environnement, mais des fois il peut être caché pour avoir un autre impact environnemental important, peut-être dans sa fabrication. Donc il faut le prendre toujours en considération, ce phénomène-là de penser le cycle de vie, de l’extraction des matières premières jusqu’à la fin de vie de notre produit qui va, on l’espère, devenir un intrant dans un autre produit par la suite. C’est un peu — je ne veux pas dire le défi — mais le challenge quand on fait de l’écoconception, mais ça s’apprend, c’est comme n’importe quoi d’autre, on ajoute brique par brique, puis on comprend les mécaniques.
Marc-Henri Monier : Oui, et puis même au-delà d’un produit, d’aller — comme on l’a mentionné tout à l’heure — le système, l’expérience client. Je reviens sur l’éclairage intérieur oè l’économie circulaire, j’aime beaucoup le mot que tu as utilisé, bien notre produit il fait partie de la vie de tous les jours, avec un produit d’éclairage à l’intérieur, qui permet de sauver de l’électricité quand il n’y a personne dans une pièce. C’est tout ça, une économie circulaire, d’aller au-delà de notre simple produit et d’aller chercher des gains pour tout le monde. Bon, je reviens aux concurrents. C’est là où vous vous différenciez à la fin, parce que tout le monde est capable de fournir un produit partout dans le monde, beaucoup plus vite des fois.
Benoit Poulin : Puis la qualité, ce n’est plus la différenciation maintenant.
Marc-Henri Monier : C’est ça. C’est de savoir se différencier sur des valeurs qui sont plus pour nous. Pour Signify, c’est la durabilité, puis d’améliorer les vies, ça fait partie de notre ADN.