Grégory Pratte : Dans la région des Laurentides, si on considère que Tricentris, c’est dans la région des Laurentides, ce qui est un fait. Au niveau du verre en tout cas, c’est quand même assez particulier parce que nul n’est prophète dans son pays, alors au Québec on fait comme :» ah bien…. c’est le fun ce que font Tricentris, mais on ne sait pas ce qu’il faut faire avec le verre.» Alors que partout dans le monde, les gens nous appellent. J’ai eu des Australiens, des Allemands, des Français, des gens d’Angleterre et des Américains qui sont venus en disant : » Et c’est bien ce que vous faites au Québec, on aimerait ça le faire moi aussi chez nous.» Donc, c’est intéressant de voir qu’une innovation qui a été développée avec l‘Université de Sherbrooke, c’est vrai, mais entre la recherche universitaire, puis le transfert industriel, c’est-à-dire de le faire pour vrai, pas seulement dans un laboratoire, il y a tout un univers. Donc, je pense qu’au Québec, je le dis souvent, si vous me suivez sur LinkedIn, je dis souvent ça : on est hot au Québec, c’est juste qu’on ne le sait pas.
C’est un peu cette idée-là, c’est qu’on a encore ce complexe un peu qui est en nous qu’on est un peu né pour un petit pain, puis qu’on n’est pas si bon que ça finalement, puisque les autres sont meilleurs que nous. Pourtant, quand on regarde ce qu’on est en train de faire au Québec, je le vois dans la filière – par exemple des batteries hier, il y a des bonnes, il y a des annonces qui ont été faites dans ce sens-là – mais avec le verre aussi, puis plein d’autres matières. Bien, il y a de l’innovation qui se fait au Québec, puis il faut juste donner, excusez mon expression, mais il faut donner du gaz. Donc il faudrait supporter nos entreprises un peu plus. Il faudrait les aider un peu plus. Il faudrait acheter un peu plus québécois et il faudrait supporter nos innovations. Donc, c’est vraiment un travail d’équipe, l’innovation, ce n’est pas juste l’idée, c’est comment en faire un modèle d’affaires viable.
Marlène Hutchinson : Puis malheureusement, moi ce que je trouve, c’est qu’au Québec, en gestion des matières résiduelles, bien qu’il y a plein d’innovations, on ne les met pas en place. Il n’y a pas d’aide gouvernementale ou le gouvernement n’est pas très présent pour pousser ces innovations-là. Donc, ce sont des innovations qui vont être exportées avant d’être utilisées au Québec.
Grégory Pratte : Tout à fait vrai. New York a fait des trottoirs en Verrox avant que le Québec en fasse. C’est quand même assez hallucinant quand on pense à ça. Il y avait des défis, mais ils ont encore des défis, mais des défis d’îlots de chaleur; mettre du Verrox qui paralysait les infrastructures. Donc, au niveau des îlots de chaleur, c’est intéressant. L’autre chose, c’est que faire un trottoir à New York, ça engendre de bloquer des rues, et bloquer des rues à New York – je ne sais pas si vous y êtes déjà allé – mais c’est une très mauvaise idée. Donc ils aiment mieux faire des trottoirs qui vont durer dix fois plus longtemps tant qu’à bloquer la rue pour une fois. Donc c’est un exemple parmi tant d’autres, mais c’est vraiment ce qui se passe en ce moment, c’est qu’au Québec, on est très frileux. On est très fort en table de concertation, puis en projets pilotes, ça, on est vraiment bon là-dedans, mais essayer de nouvelles choses, on est un peu frileux.
Marlène Hutchinson : Oui, on revient toujours souvent à ce qui s’est déjà passé puis on essaye de le transformer. Tu sais, je me dis que l’innovation pour moi, c’est au-delà de transformer ce qui se fait, c’est de faire table rase et on recommence, puis on a de nouvelles idées et on met de nouvelles choses en place. Oui, on regarde ce qui se fait ailleurs, mais je pense qu’en gestion des matières résiduelles, on fait juste… Bon, tu sais, on a commencé par mettre la collecte de déchets en place et après ça, on a juste ajouté, ajouté et ajouté des collectes. On n’a jamais rien revu du système, donc c’est juste un système que moi, je trouve qu’il est un peu désuet. Je me dis toujours qu’il me faudrait juste recommencer à zéro, puis revoir l’ensemble du système et non pas juste prendre des choses qui existent déjà et essayer de le bonifier. Je pense qu’on est rendu un peu plus loin en 2022. On en est capable. On a de belles technologies qui se mettent en place, mais très tranquillement parce que c’est un milieu que, comme je dis, il y a peu d’investissements. Tricentris, ils en font beaucoup dans leurs centres de tri, mais il y a d’autres centres de tri qui existent depuis plusieurs années, qui ne font aucun ou très peu d’investissements, ce qui fait en sorte qu’on a des reportages plates qui sortent en disant que nos matières résiduelles, on les exporte, mais ce n’est pas la vérité dans tous les centres de tri. Oui, ça se peut qu’un ou deux centres de tri fassent ça, mais ce n’est pas l’ensemble au Québec qui fait ça.
Grégory Pratte : Tu fais bien de le souligner, parce qu’effectivement on n’est pas tous égaux, mais on n’a pas tout le monde le même modèle d’affaires non plus et on n’a pas tous la même façon de fonctionner. Chez Tricentris, ça fait plusieurs années qu’on parle de recyclage local. Puis les gens disaient : «Eh bien oui, mais là, c’est bien plus payant de l’envoyer à l’étranger» ou «Ouais… mais c’est beaucoup mieux de recycler localement, les GES, stimuler nos entreprises au Québec, tout ça, faut stimuler les marchés». On était dans les premiers à le faire.
Je me rappelle la première fois qu’on a sorti notre carte matières où on expliquait – on a fait la première carte matières il y a peut-être cinq ans – où allait la matière. On a eu des appels de gens, de décideurs qu’on va appeler, qui ont dit : «Vous ne pouvez pas faire ça, ça met dans l’embarras les autres.»
– «Ah oui, comment ça?»
-«Bien parce que vous vous dites vous le faites, ça veut dire que les autres ne le font pas.»
Alors on a répondu : «OK, mais est-ce qu’on pourrait élever notre game? Est-ce qu’on pourrait élever notre niveau de jeu, tout le monde ensemble, au lieu d’aller au plus bas soumissionnaire? Au lieu d’aller aux plus bas dénominateurs communs? Pourquoi ne pourrait-on pas aller plus loin?»
C’est ce qui est en train de se passer tranquillement. Je pense que les gens sont de plus en plus conscients aussi de l’importance de recycler localement, d’encourager ces entreprises québécoises. Tu sais, on l’a vu là avec la pandémie. Quel est le produit qui s’est vendu en premier? C’est le papier toilette. Et de quoi est-il fait? Avec de la fibre recyclée. Bien, c’est drôle, on a comme plus recyclé au Québec.
Carmen-G. Sanchez : J’aimerais revenir sur quelque chose que vous avez mentionné, Marlène, en termes de table rase. Est-ce que pour vous c’est la seule piste de solution ou est-ce qu’il y en a d’autres pour justement amener de l’innovation dans la différence? Surtout quand il est question de l’environnement, pour réfléchir à de nouvelles façons de faire des nouveaux processus. Est-ce qu’il faut nécessairement faire «OK, un instant, pause» ou on peut aussi puiser, s’inspirer d’idées d’ici ou de l’étranger, puis d’essayer?
Marlène Hutchinson : On n’est pas obligé de faire table rase. Là, c’est sûr que c’est extrémisme mon affaire. Alors je pense que oui, on peut s’inspirer de ce qui se fait ailleurs et en même temps regarder ce qu’on fait de bien au Québec, ce qui fonctionne bien présentement et bonifier ça. Comme notre système de récupération actuel; il fonctionne très bien. Tu sais, on a des camions qui passent à nos portes et 99 % des Québécois sont desservis par une collecte porte-à-porte des matières recyclables. C’est parfait, mais là, on est en train de faire des changements qui vont un peu défaire ce système qui va très bien pour ramener un système différent. Donc l’élargissement de la consigne, la modernisation de la collecte sélective qui ne sont peut-être pas les meilleures solutions à mettre en place. Je pense qu’avant de faire ça, on regarde donc ce qu’on fait de bien. Donc c’est un peu ça que je me dis. Oui, prendre une pause, réfléchir et arrêter aussi d’avoir cette pression lobbyiste, je pense qu’autour de ça, il doit en avoir beaucoup. Écouter aussi les citoyens, puis bien expliquer, parce que souvent, quand on parle aux gens de la consigne, ils pensent que c’est la meilleure solution possible parce que dans leur tête, ça fait 20 ans qu’ils se font marteler que ce qu’ils mettent à la consigne, ça va être réutilisé, mais c’est pas le cas. C’est recyclé, tout comme ce qu’on met dans notre bac de récupération, dans notre bac bleu. Donc je pense que là aussi, il y a une grande éducation à faire auprès de la population, sur ce qui se passe avec nos matières, pour qu’ils puissent prendre des décisions éclairées sur où ils décident de mettre quoi, ce que Gregory fait bien avec son Facebook. Je pense que c’est super intéressant. Moi, j’avais essayé de le faire avec des livres, mais je pense qu’aujourd’hui, Facebook, c’est encore mieux.
Grégory Pratte : Non, les livres, c’est bon aussi. La radio, c’est bon. Les podcasts aussi. En fait, il faut multiplier les plateformes d’information, c’est ce qu’il faut faire à mon avis. Tu sais, je pense que dans la communication au niveau de la gestion des matières résiduelles, ce qu’on a oublié d’expliquer aux citoyens au cours des 30 dernières années, c’est pourquoi. Il faut, mais pourquoi? Qu’est-ce que ça donne? On ne leur a pas expliqué ça. On ne les a pas écoutés. On met en place des choses, puis on dit : «Bien, on est rendus là, alors vous êtes obligés de suivre», mais on ne prend pas le pouls de la population. Comment on va arriver à se connecter? Parce que c’est ça l’objectif, c’est de connecter avec la communauté, de connecter avec le citoyen pour que son geste ait un sens. C’est la même chose dans la gestion des matières résiduelles. Si on dit par exemple, une boîte de carton quand on la met dans le bac, bien ça donne telle chose, telle chose et telle chose, et ça permet d’être envoyé chez Cascades, qui est une entreprise québécoise, puis de faire des produits qu’on consomme nous-mêmes. Il n’y a pas ce storytelling là du pourquoi en ce moment. C’est plutôt : «Ne fais pas ça. Tu n’es pas fin. Tu n’es pas bon», et on va te montrer un camion et comment ça va mal. C’est sûr que ça finit mal, surtout là; on sort d’un deux ans difficile, donc on a l’épiderme sensible. Ce n’est pas le temps de commencer à culpabiliser les gens, c’est le temps de les écouter, d’être bienveillant, puis c’est le temps d’encourager.
Surtout, comme le disait Marlène, il y a plein de super idées au Québec. Comment ça se fait que tous les trottoirs – là, je vais avoir l’air du gars qui prêche pour sa paroisse – mais comment ça se fait que tous les trottoirs du Québec ne sont pas faits avec de la poudre de verre? Comment ça se fait que tous les tuyaux au Québec ne soient pas faits avec des contenants numéro deux qui viennent du bac de récupération? Tu sais, il y a des outils, il y a des choses qui se passent, il y en a des entreprises qui innovent au Québec. Est-ce que ça pourrait être dans un appel d’offres? Puis dire bien, il faut que ce soit fait au Québec avec un contenu recyclé. Est-ce qu’on pourrait faire ça? Tu sais, sûrement que t’as entendu cette légende-là, de quelqu’un qui allait aux toilettes au Parlement et qui a vu que le papier venait de l’Angleterre ou des États-Unis, je ne le sais pas, mais ce n’était pas une marque québécoise. Tu sais, il y a comme une légende de ce type-là, mais c’est vrai que c’est le plus bas soumissionnaire conforme. Alors, eux autres, ils s’en foutent d’où ça vient, mais il faut encourager notre créativité, ce qu’ont fait avec nos entreprises. Et là, ça va contribuer à une amélioration. Tantôt, quand Marlène disait qu’il faut faire table rase, je suis un peu plus d’accord avec ton deuxième bout là, qui est plus subtil, dans le sens que je ne suis pas d’accord avec le fait de faire table rase, mais je suis d’accord avec le fait de dire : «OK, on va prendre les 27 centres de tri, puis chacun va dire c’est quoi ses trois meilleurs coups, on va tout mettre ça ensemble, puis on va essayer ensemble de s’améliorer. On va essayer de devenir meilleur, de s’élever tout le monde ensemble». Mais ça n’existe pas. Nous, quand on a dit aux gens de regarder ce qu’on fait, avec le verre qui va notamment bien, je n’ai pas vu d’autres centres de tri qui ont pris cette tangente.